Frantz Fanon est l’une des voix les plus radicales et les plus lucides de la pensée décoloniale du XXe siècle. Martiniquais de naissance, médecin psychiatre, écrivain et révolutionnaire, il a profondément marqué la philosophie politique, la psychanalyse, la sociologie, la littérature, et surtout, la pensée anticoloniale. À la croisée de la Négritude, du panafricanisme et des luttes d’indépendance, il représente un penseur de la rupture, un homme en révolte, qui a su diagnostiquer la maladie coloniale avec une précision brutale.
Pour Fanon, le colonialisme n'est pas seulement un système politique ou économique : c'est une domination psychique, une violence symbolique, une entreprise de dépouillement de l’être, de confiscation de l’estime de soi. Dans "Peau noire, masques blancs" (1952), il analyse avec acuité les mécanismes d’aliénation des colonisés, contraints de porter des "masques" pour survivre dans un monde où la blancheur est norme et supériorité.
Ce livre est une psychanalyse du colonisé : Fanon y décrit les conséquences mentales de l’oppression, le désir d'assimilation, la haine de soi, la honte intériorisée. Il y montre comment la langue, la couleur de peau, l’éducation, sont des instruments d’effacement de l’identité noire.
Dans "Les Damnés de la Terre" (1961), ouvrage-manifeste écrit peu avant sa mort, Fanon va encore plus loin. Il appelle à une révolution violente, seul moyen, selon lui, de briser les chaînes du colonisateur. Il y affirme que la libération politique ne peut se faire sans décolonisation mentale. Il y dénonce aussi les élites postcoloniales qui reproduisent les logiques de domination et délaissent les masses populaires.
Ce texte a profondément influencé les mouvements de libération en Afrique, notamment en Algérie, où il s'engagea aux côtés du FLN, mais aussi dans les Antilles, en Afrique du Sud, aux États-Unis, jusqu’à l’Amérique latine. Il y parle d’un monde nouveau à inventer : un monde où l’homme noir n’est plus à la périphérie, mais acteur de sa propre histoire.
Fanon défend une solidarité active entre les peuples colonisés. Il rejette l’idée d’un retour nostalgique à l’Afrique ancestrale, mais prône une réinvention de l’identité noire, une communauté de lutte, fondée non sur l’ethnie ou la couleur, mais sur une volonté commune d’émancipation. Ce positionnement fait de lui un penseur majeur du panafricanisme moderne, aux côtés de figures comme Kwame Nkrumah, Amílcar Cabral, ou Thomas Sankara.